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Que disent les neurosciences ?

   Au XIXème siècle, le célèbre neurologue français Jean-Martin Charcot (1825-1893), précurseur de la psychopathologie clinique, co-fondateur de la neurologie moderne (avec Guillaume Duchenne), est déjà connu dans le monde grâce à ses recherches (Salpetrière, Paris) dans le domaine de l'hypnose et l'hystérie. Il defend l'hypnose comme un état neurologique spécifique.

 

Hippolyte Berneim (1840-1939) de l'école de Nancy est opposé à cette idée. Il reste convaincu que l'hypnose n'est que l'expression imaginaire du sujet mais mobilisée par des suggestions.

 

C'est au XXème siècle qu'une avancée scientifique voit le jour. Au laboratoire de recherche sur l'hypnose de l'université de Stanford, le psychiatre américain Ernest Hilgard (1904-2001) et le psychologue canadien André M. Weitzenhoffer (1921-2005) vont comparer les réponses neurophysiologiques de sujets fortement hypnotisables avec celles de sujets peu hypnotisables dans le but de mettre en évidence un marqueur biologique de l'hypnose. L'échelle de Hilgard voit le jour. Elle résulte de mesures precises des réponses subjectives de sujets à une liste de suggestions prédéfinies (réponses idéomotrices et idéosensorielles). Les scientifiques semblent enfin avoir un outil de mesures. Cette échelle n'a plus aucune utilité aujourd'hui.

Mais l'hypnose est-elle un état neurophysiologique spécifique ? Cette question va rester en suspens jusqu'en 1993. En effet, c'est Marie-Elisabeth de Faymonville à Liège qui va mettre ses connaissances et expériences au profit de cette question avec l'aide des avancées technologiques de la tomographie par émission de positons (TEP).

 

Voici ce qu'elle dit:

"Cette expérience va enfin lever le voile sur l'existence de corrélats neuronaux spécifiques à l'hypnose. Lorsque le sujet éveillé se rappelle un souvenir, il active surtout les lobes temporaux droit et gauche. Ces mêmes régions ne s'activent pas lorsque le sujet éveillé ne pense à rien (bande à l'envers), ni lorsqu'il est sous hypnose et qu'il revit ses vacances. En revanche, sous hypnose, il active un réseau qui comporte les régions de la vision (occipitale), des sensations (pariétale) et de la motricité (précentrale), comme s'il voyait, sentait et bougeait, alors qu'il est immobile. Ces données objectives concordent avec le rapport subjectif des participants : ils mentionnent invariablement l'impression de « revivre » sous hypnose des moments agréables, alors que pendant la remémoration d'événements agréables en conscience habituelle, ils se « souviennent » seulement de leur vécu. Deuxième différence majeure : le précuneus région du cortex pariétal et le cortex cingulaire postérieur sont désactivés en cours d'hypnose. Or ces régions sont très actives, lorsque le sujet est éveillé, même lorsqu'il ne pense à rien (écoute de la bande-son à l'envers). Et on a déjà observé une désactivation de ces zones dans certaines phases du sommeil ou dans les états végétatifs, donc dans des états modifiés de conscience. Cette expérience est la première à montrer un état cérébral particulier du sujet sous hypnose."

 

L'étude menée en 1999 par Maquet et un collectif de chercheur permet d'aller plus loin dans les processus neurobiologiques de l'hypnose.

Sous imagerie par résonance magnétique fonctionnelle, l'équipe a observé:

 

- Les réseaux activés par la mémoire épisodique sont très différents entre vigilance normale et hypnose. Le réseau sous hypnose est pluri-modal.

 

- cortex sensoriel - cortex visuel - cortex moteur, proche de celui retrouvé dans l'idéodynamisme (l'imagination de mouvements génère des micros-mouvements)

 

- l'activation du cortex cingulaire antérieur (générateur d'imagerie mentale)

 

- Une activation dans plusieurs zones cérébrales, à gauche, le lobule pariétal inférieur, les cortex visuels extrastriés préférentiellement, le cortex précentral adjacent au prémoteur et, en profondeur, la partie ventro-latérale du cortex préfrontal. A droite, le cervelet, le cortex occipital, le cortex cingulaire antérieur droit, et le cortex occipito-temporal gauche.

 

- Une désactivation du débit sanguin cérébral dans les cortex temporaux droit et gauche, dans une portion du cortex préfrontal centrée sur les aires situées au pôle frontal et sur la ligne médiane, le précunéus et le cortex cingulaire postérieur.

 

Hypothèses:

 

- L'activation du cortex cingulaire antérieur et du cortex préfrontal suppose que l'attention du sujet et préserver mais la désactivation du précunéus et du cortex cingulaire postérieur peut montrer que le sujet est un état de conscience modifié.

- Les modifications du débit sanguin cérébral, prédominantes à gauche des lobes occipitaux et pariétaux correspond probablement à l'imagerie visuelle, kinesthésique et motrice vivaces que le sujet décrit sous hypnose.

 

Conclusion de l'étude :

 

- Le processus hypnotique est un état caractérisé par une somnolence apparente avec une activité hallucinatoire intense qui occupe la conscience du sujet. Il vit un rapport à lui-même et à son environnement différent de celui de l'état de veille normal.

- L'hypnose associé niveau d'éveil est un pattern d'activation cérébrale variable, selon la technique, qui le distingue d'autres phénomènes hallucinatoire comme l'imagerie mentale, dont il diffère par la désactivation du précunéus et du cortex cingulaire postérieur suggérant un état modifié de conscience.

- Singularité de l'hypnose : Elle ne repose pas sur une organisation cérébrale et stéréotypé comme d'autres état de vigilance modifié (sommeil lent, sommeil paradoxal avec activation des rêves) ou comme l'état de veille ou les hallucinations observée chez les schizophrènes.

- La baisse de vigilance en hypnose pour accéder à l'activité hallucinatoire multimodal est importante.

- L'état hypnotique se distingue d'un état de veille normal par la désactivation du précunéus et du cortex cingulaire postérieur suggérant un état modifié de conscience.

 

Lors de cette étude, l'observation de l'activité cérébrale sous électroencéphalographe apporte un éclairage précieux sur la fréquence cérébrale de l'hypnose.

 

- État de pleine conscience, la majorité des fréquences électriques se trouve dans la portée beta (14 à 25 Hertz).

- Sommeil paradoxal, la majorité des fréquences électriques se trouve dans la portée thêta (4 à 7 Hertz)

- Sommeil profond, lorsque la majorité des fréquences électriques se trouve dans la portée Delta (3 à 5 Hertz)

- Sous hypnose, la majorité des fréquences électriques se trouve dans la portée alpha (8 à 13 Hertz)

 

Cette fréquence est variable en fonction de l'intensité des états hypnotiques, ceux-ci n'étant pas figés mais fluctuant. En 2009, Les travaux des chercheurs de l'Université de Genève confirment que l'hypnose repose sur des mécanismes cérébraux spécifiques. L'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle montre que l'activité cérébrale générée par l'état hypnotique suggère non pas une inhibition directe du cortex moteur par les ordres adressés par l'hypnotiseur, mais plutôt un changement d'activité du cortex frontal et du cortex pariétal. L'exécution des mouvements serait déconnectée de l'intention et de l'attention. L'activité mentale déclenchée par les suggestions de l'hypnotiseur prendrait le contrôle du comportement.

Ces chercheurs ont confirmé les effets de la suggestion hypnotique.

 

      Pour conclure brièvement, de nombreuses études neuroscientifiques voient le jour régulièrement et mettent en évidence que l'état hypnotique existe bel et bien. Les questions comme "L'hypnose, est-ce que ça marche ?" ou encore "Faut-il croire à l'hypnose ?" ne sont dorénavant grâce au progrès de la science plus d'actualité.

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Article à destination des professionnels de santé ?

THE AMERICAN JOURNAL OF MEDICINE
(Traduction francaise)


L'hypnose : Le traitement le plus efficace que vous ayez encore à prescrire.

Malgré des preuves solides pour une myriade d'affections et des données mécanistes solides, l'hypnose est sous-utilisée par les internistes. L'utilisation de l'hypnose répond à notre engagement de respecter les traitements fondés sur des preuves qui soulagent la souffrance avec le moins de dommages collatéraux possible, mais il y a un décalage entre ses avantages et les médecins qui proposent le traitement. Bien que l'hypnose puisse figurer dans les programmes de médecine de grands établissements universitaires comme Baylor, Harvard, Columbia et Stanford, la formation à l'hypnose est rare, même dans ces institutions. Voici pourquoi une résurrection moderne de la plus ancienne forme occidentale de psychothérapie devrait inciter les internistes à se former et à proposer largement l'hypnose médicale.
L'hypnose, ses mythes et ses idées fausses ont évolué depuis le 18e siècle, lorsque Franz Mesmer a, par inadvertance, fait tomber l'hypnose dans l'oubli avec sa théorie sur la manipulation d'une force appelée "magnétisme animal". Ces affirmations ont été réfutées par l'Académie royale des sciences française, et il a fallu près de 100 ans pour que le médecin écossais James Braid décrive pour la première fois une théorie mentale et suggestive de l'hypnose comme un état physiologique éveillé. La définition de 2014 de la division 30 de l'American Psychological Association décrit l'hypnose comme "un état de conscience impliquant une attention focalisée et une conscience périphérique réduite, caractérisé par une capacité accrue de réponse à la suggestion". Des preuves empiriques de longue date démontrent que l'hypnose a un impact sur la perception, les symptômes et les habitudes, qui ont récemment été expliqués par des modalités de diagnostic avancées comme l'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf). Les changements survenant au cours de l'hypnose comprennent une réduction de l'activité dans la partie dorsale du cortex cingulaire antérieur (un élément clé du réseau de saillance) et de la connectivité entre le cortex préfrontal et l'insula (une voie de contrôle du corps et de l'esprit).
Grâce aux données sur le métabolisme des neurotransmetteurs et la génétique, la base neurophysiologique de l'hypnose n'est plus mystérieuse. Bien que notre compréhension du mécanisme d'action de l'hypnose soit plus solide que celle de l'acétaminophène, cela n'a pas suffi à améliorer son utilisation.
Les sceptiques décrivent l'hypnose de l'une des trois façons suivantes : contrôle mental dangereux, farce inefficace ou placebo. L'hypnose est souvent considérée comme une perte de contrôle et donc comme dangereuse, alors qu'il s'agit en fait d'un moyen puissant d'apprendre aux patients à contrôler leur esprit et leur corps. La capacité d'entrer en hypnose, appelée hypnotisabilité, est une caractéristique stable que possèdent la plupart des gens et à laquelle le patient peut accéder ou mettre fin. L'hypnose n'est pas efficace en présence d'affections telles qu'un accident vasculaire cérébral ou une schizophrénie, ni en cas d'altération de l'attention focalisée ou du traitement du langage. L'hypnose est plus puissante que le placebo (bien que l'attente du patient soit un facteur modérateur), et l'effet placebo est bloqué par l'administration de naloxone, alors que l'analgésie hypnotique ne l'est pas.
Les revues sur l'hypnose pour les sujets de médecine interne sont impressionnantes, avec une efficacité démontrée pour les migraines, le syndrome du côlon irritable, et l'anxiété. L'hypnose améliore la douleur procédurale et la détresse émotionnelle et réduit la consommation de médicaments jusqu'à 40% - en bref, si l'hypnose était un médicament, elle ferait partie des soins standards. Les internistes devraient prescrire l'hypnose particulièrement lorsqu'elle surpasse la norme de soins actuelle en termes de sécurité et d'efficacité, comme dans le cas des opioïdes et des sédatifs. Les patients ont un fort appétit pour la prise en charge de leurs symptômes ; les vidéos d'hypnose en ligne pour l'anxiété et l'insomnie comptent 15 à 19 millions de vues, et l'hypnose médicale est tout à fait acceptable par les patients. Mais on ne peut pas s'attendre à ce que les patients fassent la différence entre les sources légitimes et manipulatrices d'hypnose en ligne, pas plus que s'ils achetaient des pilules dans la rue. Cette modalité de traitement est du ressort de la médecine, et notre devoir est de fournir un accès sûr. Pour ce faire, nous devons améliorer l'offre. Des formations formelles pour les prestataires médicaux sont proposées par des sociétés nationales, telles que l'American Society of Clinical Hypnosis (ASCH) et la Society for Clinical and Experimental Hypnosis (SCEH). Les formations durent 4 jours et comprennent l'éthique et le consentement éclairé en plus des compétences pratiques. Une accréditation hospitalière pour le privilège de l'hypnose peut être requise : S'il n'en existe pas, il est conseillé d'en concevoir une qui inclue une formation formelle et une exigence de mentorat. Pour les pionniers institutionnels, les membres des sociétés d'hypnose peuvent fournir un mentorat. La formation à l'hypnose comprend des outils pour aider nos patients à s'aider eux-mêmes, ce qui profite à tous nos patients, même en dehors d'une session formelle. Dire à un patient : "Ne pense pas aux éléphants violets", cela garantira qu'il le fera. Grâce à l'hypnose, on se rend compte que même la phrase courante "Quelle est l'intensité de votre douleur" est chargée d'associations négatives. Malgré toute leur capacité à faire confiance à leur médecin, les patients intériorisent la phrase "Vous avez très mal". Comparez cela à la phrase "Comment vous sentez-vous en ce moment ?" Le patient scrute son corps à la recherche du confort plutôt que de la douleur et, si un malaise est signalé, il peut être suivi de l'échelle de 0 à 10. Ces ajustements subtils reconnaissent le confort sans le préjudice de la souffrance anticipée. C'est l'art de guérir de la médecine. En outre, le médecin formé peut pratiquer l'auto-hypnose pour gérer le stress, l'insomnie ou l'anxiété de performance, évitant ainsi les médicaments qui émoussent son attention. Nos patients, nos collègues, nos stagiaires et nos familles en bénéficient. La recherche sur l'hypnose est financée par le National Center for Complementary and Integrative Health (NCCIH), et les chercheurs font des percées dans les aspects génétiques de l'hypnotisabilité et de la réponse au traitement et étudient l'hypnose pour la gestion de la douleur en cas de cancer et de chirurgie, le sevrage tabagique et la gestion du stress dans les soins de santé. L'automatisation de l'hypnose à l'aide d'enregistrements, d'applications web et de haut-parleurs intelligents est testée afin d'élargir l'accès aux interventions par hypnose. De la science fondamentale à l'efficacité clinique en passant par l'enseignement médical, toutes sortes de recherches sur l'hypnose sont pertinentes pour la médecine interne. Les internistes sont les ambassadeurs des preuves. L'étendue de notre formation et de notre champ d'action maximise notre efficacité en tant que guérisseurs, mais nous ne devons pas perdre de vue ce qui fait l'expérience de la maladie : l'esprit humain. Lorsque la technique de l'hypnose sera correctement éclairée, son rôle sera accueilli et respecté par nos patients. Ils bénéficieront d'une diminution de la douleur, de l'anxiété, de l'insomnie, des habitudes telles que le tabagisme et des effets secondaires qui accompagnent de nombreux traitements pharmacologiques. Nous aurons la satisfaction de réagir rapidement aux meilleures preuves de traitements plus sûrs et, peut-être aussi, de profiter d'une meilleure nuit de sommeil. Ceci est un appel à l'action pour une utilisation plus large de l'hypnose, avec des internistes intrépides à la tête de la charge.

Jessie Kittle, MD
Département de médecine interne. Département de psychiatrie et des sciences du comportement, Université de Stanford, Stanford, Calif.

David Spiegel, MD
Département de psychiatrie et des sciences du comportement, Université de Stanford, Stanford, Calif. 

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